En matière de financement des modes d'accueil du jeune enfant, « la dépense publique paraît mal maîtrisée ». C'est ce que pointent les magistrats de la Cour des comptes dans un rapport publié la semaine dernière, qui préconisent notamment de prolonger d'un mois le congé maternité.
La politique d’accueil du jeune enfant, encadrée par la réglementation et largement financée par des fonds publics, laisse en théorie le choix aux parents entre l’accueil individuel (assistantes maternelles) et l’accueil collectif (crèches et haltes-garderies, également dénommées établissements d’accueil du jeune enfant, gérées par des collectivités territoriales, des associations et des entreprises de crèches privées). Depuis ces 20 dernières années, « l’organisation des modalités d’accueil des jeunes enfants a conduit, en particulier, à soutenir l’activité d’assistante maternelle pour développer l’accueil individuel et à structurer, sur le plan juridique, une offre diversifiée d’accueil dans les crèches, qui assurent l’essentiel de l’accueil collectif. » En pratique, « l’assistante maternelle est privilégiée lorsque l’enfant a entre six et 12 mois (28 %) » et la crèche est le mode d’accueil préféré durant la deuxième (45 %) et la troisième année (52 %). » La Cour relève donc une « préférence pour le mode d’accueil collectif ».
Mais, selon la Cour des comptes, il est temps de changer de braquet, et ce pour deux raisons. Premièrement, on observe depuis plusieurs années maintenant « une offre insuffisante pour satisfaire la totalité de la demande », notamment en ce qui concerne l’accueil collectif. Par ailleurs, la Cour indique que « les inégalités territoriales d’accès aux places d’accueil sont marquées et tendent à s’accentuer » . Deuxièmement, la difficulté de trouver une solution de garde pour toutes les familles se couple avec le déficit public actuel et la nécessité de trouver des moyens pour réduire la dépense publique.
Assistantes maternelles et congés parentaux
Pour faire des économies et satisfaire davantage les familles, la Cour des comptes explique que « l’accueil par une assistante maternelle, qui figure parmi les moins coûteux pour les finances publiques, mériterait d’être davantage encouragé » . En 2022, « 236 000 assistantes maternelles proposaient 684 000 places d’accueil, soit plus de la moitié des places d’accueil formel, mais leur offre est en net recul » . Actuellement, selon les magistrats de la rue Cambon, « les financements publics privilégient l’accueil en crèche, certes plus demandé par les parents mais plus coûteux ».
Les auteurs de ce rapport rappellent par ailleurs que certains objectifs fixés par le gouvernement comme l’augmentation du nombre d’adultes par enfant en crèche ou la création de 200 000 places d’accueil envisagée d’ici 2030, « pourraient alourdir le coût pour les finances publiques de plusieurs milliards d’euros par an » . La Cour des comptes incite plutôt les pouvoirs publics à « développer les crèches financées par la prestation de service unique dans les territoires sous-cotés et moins favorisés » en renforçant notamment les financements de la branche famille liés aux spécificités territoriales.
Pour compenser ce manque de personnel et ne pas creuser davantage le déficit public, la Cour des comptes propose de miser sur les congés parentaux et plus précisément sur le congé de maternité. D’après les sondages réalisés pour la Cour, « la majorité des employeurs et des salariés serait favorable à une prolongation d’un mois du congé de maternité, qui permettrait de libérer 35 000 places d’accueil. Le coût net d’une telle mesure a été évalué par la Cour à 350 millions d’euros par an. »
La Cour recommande également une refonte du congé parental. Pour rappel, ce congé permet aux parents d’enfants de moins de 3 ans de cesser leur activité pour s’occuper d’eux, à l’issue du congé maternité (16 semaines) ou paternité (28 jours). « La prestation partagée d’éducation de l’enfant (Prepare) qui leur est versée dans ce cas, à hauteur de 450,67 euros par mois en 2024, est en fort déclin et très rarement utilisée par les pères. » Selon les estimations des magistrats, une « indemnisation de la garde parentale plus attractive et plus courte » permettrait de « réduire le besoin de garde formelle de l’ordre de 70 000 berceaux » pour un coût net d’environ 360 millions d’euros par an.
En 2023, Aurore Bergé, alors ministre des Solidarités et des Familles avait lancé cette idée d’un congé parental « plus court, mais mieux indemnisé, pour laisser un vrai choix aux familles » . L’annonce avait alors fait l’objet d’un certain nombre d’interrogations notamment de la part des associations féministes qui observent que le congé parental est avant tout pris par les mères faute de modes de garde disponibles. Une tribune signée par des universitaires et militants avait alors été publiée dans le journal Libération demandant d’aligner le congé paternité sur le congé maternité car, selon eux, « il n’existe pas un parent principal, la mère, et un parent secondaire ».
Qualité, PSU et SPPE
Enfin, il était impossible de parler d’accueil du jeune enfant en France sans évoquer « la qualité de l’accueil, dont les effets sont largement soulignés sur le bien-être des enfants ». À la rentrée 2024, le journaliste Victor Castanet a publié un livre mettant en lumière les dérives de certaines crèches privées, avec des conditions de travail parfois scandaleuses, des cas de maltraitances graves et des conditions d'accueil dégradées (lire Maire info du 7 octobre). Sur cette question, la Cour des comptes estime qu’un « meilleur pilotage des objectifs de qualité couplé à des contrôles coordonnés du respect de ces objectifs » est nécessaire. Les juges proposent de « centraliser et publier les résultats des contrôles des modes d’accueil réalisés localement et mettre en œuvre un système de sanctions graduées en cas de manquement ».
« De même, le mode de financement des crèches ne doit pas encourager des gestions qui dégradent la qualité d’accueil, en particulier quand la recherche d’une occupation maximale des structures conduit à multiplier les accueils occasionnels et met des équipes sous pression » . Les magistrats semblent avoir entendu la plainte des opérateurs de secteurs associatifs, municipaux ou privés sur la Prestation de service unique (PSU). Depuis 2014, date de la réforme la PSU, c’est un taux de facturation calculé sur un ratio « heures facturées / heures de présence effective » qui sert de base au versement de la PSU. La Cour est favorable à un financement forfaitaire avec le versement d’un forfait a la demi-journée d’accueil qui « devrait alléger les contraintes administratives des structures et modérer la tendance a une hausse du taux d’occupation préjudiciable a la qualité de l’accueil ».
Rappelons qu’à compter du 1er janvier 2025 (lire Maire info de vendredi), les communes seront désignées autorités organisatrices de l’accueil du jeune enfant, chargées d’exercer deux à quatre nouvelles compétences obligatoires : le recensement des besoins d’accueil et de l’offre disponible, l’information et l’accompagnement des familles, et, pour celles de plus de 3 500 habitants, la planification du développement de l’offre et le soutien à la qualité de l’offre. « Chacune de ces compétences peut être exercée par la commune ou l’intercommunalité dont elle est membre » , précisent les auteurs du rapport. Les juges expliquent que pour réguler l’évolution de l’offre, « seuls les maires de communes de plus de 3 500 habitants se voient conférer un pouvoir d’avis préalable à tout projet de création, d’extension ou de transformation d’un établissement sur leur territoire. Selon la Cour, « ce seuil de population gagnerait à être supprimé : les autorités organisatrices, quelle que soit leur taille, devraient a minima être sollicitées pour avis, dans un contexte où elles restent tributaires de l’intervention d’autres acteurs, sur lesquels elles n’ont aucune autorité fonctionnelle, pour organiser l’accueil du jeune enfant sur leur territoire ». Cette proposition va dans le sens des demandes portées par l’AMF jusqu’alors.
(Source: Article de Lucile BONNIN pour Maire-Info du 16/12/2024)